Par : Aïcha Ben Dhia pour 2050
À la peur ou au déni face aux bouleversements environnementaux, peut-on substituer la compréhension et l’émerveillement, qui sont des moteurs indispensables d’action et de recherche de solutions ? À 2050, nous en faisons le pari, et c’est pourquoi nous avons participé à la co-création d’un cours multidisciplinaire et accessible à tous sur les enjeux environnementaux du XXIème siècle. Aujourd’hui délivré à l’ensemble des étudiant.e.s de première année de l’Université Paris-Dauphine, ce cours est placé sous licence libre, afin d’en faire un savoir le plus largement partagé : avec nos équipes, avec celles des entreprises et associations de notre écosystème, avec vous !
Septembre 2019. En m’asseyant face au tableau noir, je souris de mon parcours professionnel qui me ramène une fois de plus à l’école. À l’insu de mon plein gré. Avec moi, cinq étudiants en licence à l’Université Paris-Dauphine qui prototypent le nouveau cours proposé par Ivar Ekeland sur les enjeux environnementaux du XXIème siècle.
Étudiante, je l’ai longtemps été : j’ai même poussé le vice jusqu’à conclure une thèse d’économie après une formation scientifique déjà longue et exigeante. Bourdieu serait content, les déterminismes sociaux n’ont pas été en reste ! Mais d’autres moteurs que la sociologie ont forgé mon goût pour l’exploration des savoirs. Ce sont les étincelles qui s’allument dans le regard de celle ou celui qui soudainement “comprend” quelque chose.
J’en ai vu dans les yeux des collégiens à qui j’expliquais Pythagore avec des verres de grenadine, comme dans ceux d’étudiantes du MIT devant les modèles macro-économiques de faillite bancaire. J’ai senti des étincelles similaires s’allumer dans mon propre regard en septembre dernier, en écoutant Ivar raconter l’histoire du climat et les forages de la glace antarctique, l’interdépendance des vivants et la propagation des pandémies, les débats sur la taxe carbone et les revendications des gilets jaunes.
Je crois que ces étincelles de compréhension sont chaque fois le signe d’un émerveillement pour la richesse du monde, en même temps que le sentiment qu’une nouvelle capacité d’agir naît quelque part en nous. Capacité d’agir, cela pourra signifier choisir un meilleur outil, adapter son geste, inventer une nouvelle façon d’être avec les autres, ou simplement porter un regard différent sur ce qui nous entoure. Avec un effet KissCool en bonus : un monde qui émerveille fait moins peur.
Former à la compréhension des bouleversements écologiques du siècle à venir, pour éviter la peur, susciter l’émerveillement et donner des clés pour agir : voilà l’objectif du cours sur les enjeux environnementaux du XXIème siècle qu’Ivar Ekeland a conçu et mûri pendant plus de dix années de recherche et de curiosité, et à l’écriture duquel je me suis associée avec plaisir parmi mes missions à 2050.
En pratique, ce cours permet de comprendre en une centaine de pages illustrées les bouleversements environnementaux contemporains et à venir. Ces bouleversements s’expliquent bien sûr par un niveau historiquement haut des concentrations de gaz carbonique dans l’atmosphère et une destruction accélérée du tissu vivant de la biosphère, mais pas seulement. Ils sont en lien direct avec la découverte du potentiel inouï des énergies fossiles, la démultiplication depuis deux siècles de machines utilisant ces énergies, les systèmes économiques qui ont accompagné la diffusion de ces machines, les représentations du monde qui ont donné un sens et une légitimité à ces systèmes.
La Terre est entourée d’un sac de couchage gazeux : son atmosphère ! Y ajouter des molécules de CO2, c’est comme ajouter des plumes de canard dans le sac : cela le rend plus isolant du reste, et à l’intérieur, il va y faire plus chaud.
— Extrait chapitre 2 : L’effet couette
Pour saisir cette complexité et imaginer des réponses adaptées, ce cours est donc multidisciplinaire : de la physique à l’histoire en passant par la biologie et l’économie. Adressé à un public néophyte, il n’est ni un récit d’expert, ni une encyclopédie du climat. Il s’appuie sur les résultats de recherches scientifiques de pointe mais les raconte à la façon de Jamy et Fred dans C’est pas sorcier! (sans les bruitages et le camion — dommage…), en essayant de proposer sur chaque sujet une vision synthétique et digeste.
Cette réalisation a été possible grâce à l’engagement de l’Université Paris Dauphine. Sous l’impulsion d’un groupe d’enseignants-chercheurs multidisciplinaires, coordonné par Dominique Méda, sociologue, et Stéphanie Monjon, économiste, ce cours est depuis la rentrée 2020 un module obligatoire pour l’ensemble des étudiants de première année. Un indispensable de leur formation professionnelle, en somme. Et c’est bien ce que demandent de plus en plus d’entre eux, qui pointent les lacunes du système éducatif actuel sur les sujets environnementaux. L’enquête sur l’enseignement supérieur en France, réalisée par le think thank The Shift Project, révèle en effet que les trois quarts des parcours de formations en grandes écoles et universités ne proposent aucun cours abordant les enjeux climat-énergie. Seules 11 % proposent au moins un cours obligatoire, et la plupart des cours liés aux sujets environnementaux relèvent d’une spécialisation de niveau master. Le cours délivré ce trimestre à l’ensemble des étudiants de Dauphine — introductif, accessible, multidisciplinaire — est donc une première dans l’enseignement supérieur en France, et au-delà.
Créer et diffuser un savoir revient à créer un langage, c’est-à-dire de nouveaux imaginaires, de nouvelles grilles d’analyse, de nouvelles références. Mais ce potentiel d’action collective ne se réalise que si ce savoir est partagé. Nous avons donc fait de ce cours le premier “commun” de savoir, co-créé et financé par 2050, en plaçant ses contenus sous licence libre. En pratique, cela signifie que vous pouvez librement le télécharger, le lire, le distribuer, en réutiliser le contenu [1] et donc l’améliorer ! [2]
Certains disent que le climat sur Terre a toujours varié. C’est parfaitement vrai : le climat varie naturellement en suivant des cycles d’environ 100 000 ans. Les variations qu’on observe aujourd’hui sont de même amplitude… mais sur 200 ans ! La différence ? La même qu’une voiture roulant 100 à km/h à qui l’on donne 100 mètres pour s’arrêter ou.. 1 mètre.
— Extrait chapitre 5 : Démarche scientifique et climatoscepticisme
À petite échelle, ce savoir nous permet dès aujourd’hui de sensibiliser et de former nos équipes ainsi que celles des entreprises et associations de notre écosystème à la compréhension des défis environnementaux. Au-delà, nous souhaitons qu’il contribue à outiller les générations de futurs professionnels pour comprendre le monde qui vient, alliant nos efforts à toutes les initiatives qui oeuvrent dans le même sens [3].
C’est enfin secteur par secteur, métier par métier, organisation par organisation, que nos sociétés devront inventer les solutions qui rétablissent un rapport non-destructif au vivant et ralentissent la bascule climatique. Ce cours peut être un premier socle. Si nous réussissons notre pari, il appellera à de nombreux approfondissements, identifiant et discutant de pistes d’action concrètes et spécifiques. À 2050, notre souhait est d’accompagner et de financer le regroupement et la diffusion de ces pistes. Alors si ce projet vous intéresse, contactez-nous et allions nos forces !
D’ici là, nous vous souhaitons une bonne lecture des 6 premiers chapitres, en ligne ici, et de très belles fêtes de fin d’année.
[1] Aux seules conditions de faire mention des auteurs d’origine et de rester sous la même licence CC-BY-SA, dont le fonctionnement est expliqué en détail ici.
[2] Si vous avez déjà des suggestions ou des commentaires sur le texte existant, écrivez-nous à l’adresse contact@2050.do.
[3] Initiatives comme celle du Campus de la Transition et de son important Manuel de la Grande Transition.